De la virilisation de la société
On se moque de la blonde peroxydée – avatar ultime d’une idée pervertie de la féminité – depuis les années 60 environ, quand aux Etats-Unis on a eu un peu moins le droit de se moquer des Noirs. Mais de quoi se moque-t-on, en somme ? On se moque d’attributs trop visibles qui, au lieu de servir simplement d’appâts sexuels, finissent par trop cantonner la femme dans son seul rôle de séductrice – pour la plus grande terreur des mâles. On se moque parce qu’on a peur, c’est vieux comme Hérode. On a donc érigé en principe de survie la suppression de tous ces attributs trop typés, en privilégiant la mode unisexe, par exemple, dont l’ami Ted Lapidus fraîchement défunté a été le plus grand défenseur. Tailleur-pantalon, smoking, cheveux courts – on a essayé de contrer l’assujettissement de la femme en lui offrant les mêmes attributs que les hommes, sans se rendre compte qu’il s’agissait là d’un entérinement tacite de la puissance masculine : tu nous ressembles, donc tu es respectable.
Que les femmes abandonnent leurs colifichets, peu me chaut. Ce qui est plus grave, c’est l’abandon par les hommes des accessoires, et c’est ce phénomène de société qui, à mon sens, est dommageable. On s’aperçoit que dans les sociétés équilibrées de l’Histoire, à savoir dans les sociétés où l’homme et la femme jouissaient d’un statut plus ou moins identique, tous deux portaient des accessoires similaires : il ne serait pas venu à l’idée d’un barbon du XVIIIe de se moquer des tenues de sa compagne, puisqu’il lui ressemblait presque en tout point, le corset en moins. Même souci de la chevelure, des bijoux, des rubans ; on peut ainsi parler de la civilisation arabe, ô combien florissante et respectueuse de la femme aux alentours de l’an mil, des Babyloniens, des Celtes… Je reste persuadé que le souci de la parure, partagé par les hommes et les femmes, contribue à entretenir un climat de respect mutuel. Je veux pour preuve significative de mon propos les difficultés d’identification sexuelle rencontrées par les chercheurs qui travaillent sur la tombe princière de Vix, en Bourgogne : sous un tumulus, un individu est enterré avec de somptueux présents funéraires, dont un torque en or massif, des bracelets, et surtout un vase de bronze gigantesque, chef-d’œuvre de chaudronnerie italo-grecque. Nous sommes au VIe siècle avant Jésus-Christ, et rien dans le mobilier ne témoigne du sexe du défunt. Le machisme des archéologues des années 50 a tranché : le prince de Vix, et voilà. Les dernières recherches anthropologiques laissent supposer le contraire, ce qui laisse songeur sur les facultés de nos ancêtres à se contreficher de l’identité sexuelle pour nommer ses chefs (nous qui applaudissons des deux mains à l’élection d’un Noir à la présidence des Etats-Unis, comme s’il s’agissait d’un miracle dans l’histoire des hommes, pauvres de nous).
Nous devons cette sinistre habitude de ne plus se décorer au puritanisme bourgeois du dix-neuvième siècle, qui ne voyait que le noir pour vêtir dignement les notaires. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les hommes ont résisté tant bien que mal, s’affublant de guêtres, d’épingles à cravate, de cannes et de chapeaux. C’est justement à partir des années 60 que les hommes ont abandonné les accessoires, jugés trop féminins dans un contexte de lutte égalitaire.
La vraie victoire de l’égalité sera atteinte, à mon avis, lorsque l’homme aura retrouvé le besoin de se parer, depuis trop longtemps considéré comme un artifice féminin détestable. Mais la parure n’est que beauté, et la beauté n’a pas de sexe.
Sortez de ma gaine Playtex, goujat.
Orgel, qui cherche une perruque Louis XIV pour aller au travail. Ecrire au journal qui transmettra.
janvier 5th, 2009 à 23 h 24 min
Pas de perruque, même pas Louis XIV, mais quelques guirlandes et éventuellement deux ou trois boules qui ne servent plus…