Susan t’emmène écouter les sirènes
Maintenant que la grippe porcine occupe toute la place, le soufflé créé par cette grosse Ecossaise et sa prestation dans le télécrochet national britannique est enfin un peu retombé. Les cerveaux reptiliens des commentateurs enthousiastes se sont un brin mis en veilleuse, les palabres radiophoniques interminables sur le sujet se font un peu plus rares et le silence revient petit à petit, angoissés que nous sommes tous à savoir si Susan va ou non se faire raser la moustache ou livrer sa première et fougueuse étreinte à un producteur de film pour adultes. Il me semble de bon ton d’en remettre une petite couche, tant le spectacle de l’obèse bientôt quinquagénaire chantant de sa voix d’ange dans sa robe du dimanche une niaiserie sirupeuse et la kyrielle de réactions plus ou moins à propos qu’il a suscitée m’ont laissé avec un profond malaise et une vague nausée.
Une semaine, une grosse et grasse semaine à entendre, à lire tout et n’importe quoi sur cette prestation « exceptionnelle » à l’émouvante sincérité. Tous, ils y sont tous allé de leurs petits refrains et de leurs pertinentes analyses. Même Vincent Pellegrini sur son blog (dans la rubrique « Religion non-chrétienne » tout de même) nous décrit, ses petits doigts tremblant et frémissant sur le clavier par le trop plein d’émotion retenue, l’insondable extase qui l’a pris à la vue de cette vierge tout droit sortie de ses brumes nordiques. Il crie presque au miracle (une catholique en terres impies et anglicanes !) et se félicite du retour des vraies valeurs morales dans un monde en décomposition. Il encense sans vergogne la magnifique beauté (intérieure, faut pas déconner) et la simplicité de la dame et glorifie le fier public de la Noble Albion qui ne s’est pas laissé rebuter par l’aspect plus que grotesque de cette « Nouvelle Star » pour ne reconnaître en elle que son « Incroyable Talent ».
N’importe quoi !
Déjà, c’est assez veule de s’extasier sur le fait qu’une grosse moche sache chanter. C’est un rien insultant pour la dame. Comme si le fait d’avoir un physique de monstre de foire était forcément incompatible avec une bonne oreille et une voix supportable. Comme si, parce qu’elle s’habile avec ses rideaux et qu’elle n’a qu’un seul sourcil (mais un gros), elle ne pouvait que pousser des jurons de charretiers d’une voix rocailleuse ! En plus, elle aurait gagné le titre de Miss Ecosse, je ne dis pas. Ça aurait été un rien plus surprenant, ça aurait eu un petit plus de gueule. Mais elle a participé à un concours de bardes ! C’est un peu facile et ça ne casse pas trois pattes à un canard.
Mais là où on frise le délire c’est cette frénésie unilatérale de voir en elle un symbole de vérité et d’authenticité face à une société mercantile que le mensonge emplit. De porter cette femme en égérie de la pureté au vu de la pauvreté de sa vie sentimentale et du fait qu’elle ait fleuri dans la bouse d’un programme aliénant de téléréalité, tient de l’aveuglement, de la naïveté et de la pathologie mentale. Croire qu’elle annonce un changement radical de la société et de la façon qu’a le pékin moyen d’appréhender le monde qui l’entoure c’est tout simplement faux.
Ce qui permet à notre société occidentale et capitaliste de fonctionner à plein rendement est bien le fait que chacun reste à sa place. Les boulangers produisent du pain avec la farine que lui livre le paysan et ce pain va nourrir le médecin. Le médecin va lui soigner le boulanger ou le paysan s’ils tombent malades. Chaque être humain occupe donc une place dans la société qui est déterminée par son sexe, sa fortune, son réseau social et son instruction. C’est pour résumer. Pour que ce système complexe reste bien en place, que chacun, à son niveau, se crève le cul à bosser comme un mineur russe et ferme sa gueule au lieu d’aller cueillir nonchalamment des glaïeuls dans les parterres fleuris dans le but inavouable d’en faire d’énormes bouquets à offrir à sa voisine de palier afin de passer quelques instants bénis au creux de son tendre fessier, il faut donner au quidam de base un rêve : celui qu’un jour ou l’autre, il pourra, à force de travail consciencieux, d’obéissance stricte et d’un minimum de malice parvenir à quitter sa petite condition de merde et s’en foutre plein les fouilles dans un milieu de winner où ses qualités seront enfin reconnues. C’est le conte de l’autre gourde avec sa pantoufle de vair et le rêve américain. C’est aussi le « Arbeit macht Frei » de sinistre mémoire. Mais c’est également le « Travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy et le « Yes, we can » d’Obama. Et c’est surtout de la merde en barre et un gros mensonge. Faire croire à un cireur de chaussures qu’à force d’astiquer des pompes à longueur de journée il va finir comme Rockefeller ce n’est juste pas crédible. Ou alors au sens figuré. La seule et unique chose qui puisse sortir de son marasme besogneux l’opprimé servile c’est la révolution.
Susan Boyle n’est pas une révolutionnaire. Elle n’est rien d’autre qu’un outil du système pour maintenir son pouvoir. Elle fait croire, bien malgré elle, aux crétins que s’ils veulent, ils peuvent et que tout le monde aura sa chance un jour ou l’autre. Qu’on peut être moche, gros et con et réussir quand même dans la vie. Ce qui revient à nous répéter une xième fois le couplet asséné à longueur de temps par cette droite qu’on qualifie de décomplexée du bonheur et de l’épanouissement personnel ne résultant que de l’ascension sociale. Et ça, c’est dégueulasse.
Maintenant, sortez de ma chambre, j’vais vomir.
Alcazard, qui n’a strictement rien contre les grosses.
avril 29th, 2009 à 12 h 53 min
Mon cher Alcazard, sur le fond vous avez assez raison. Mais vous ne regardez qu’une face des choses. Et l’on peut voir aussi ce phénomène Boyle en décalant son regard pour atteindre des hauteurs sociologiquement plus providentielles. C’est clair que la TV surfe commercialement sur une innocente paroissienne qui n’entre pas dans le droit canon des apparences télévisuelles (comme l’immense majorité des téléspectatrices d’ailleurs), qui ne met pas la capote et qui se retrouve à l’insu de son plein gré vedette des coeurs émotionnables en prime time. Mais au moins, la TV change de canon et donc de paradigme signalétique. Dans ce monde où tout n’est que communication moitié-pub moitié cerveau reptilien avec un zeste d’inconscient collectif à repaître, l’archétype télévisuel de la blonde idiote et ravissante est brisé. C’est déjà une grande victoire contre l’inégalité de naissance. Et que diable, on a le droit d’être ému, comme moi, par la beauté et la sincérité de cette voix même si c’est tout le contraire des clips de MTV qui ne sont d’ailleurs plus de mon âge (48 ans)!
avril 29th, 2009 à 13 h 43 min
Sans tomber dans une analyse marxiste que je n’approuve guère, je trouve cette affaire assez répugnante. La damoiselle a certes une belle voix mais est-ce si rare ?
Non si on la met en avant c’est uniquement parce qu’elle n’est pas dans les standards de la beauté actuelle. Pour moi , en arriver à se dire que c’est « une grande victoire contre l’inégalité de naissance » parce qu’une personne au physique « ingrat » passe à la TV, c’est que le paradigme malsain dans lequel on se trouve, nous a déjà bien contaminé.
Surtout que l’on sait que c’est une histoire de marketing éhonté depuis le début, ce qui rend la chose encore plus immorale.
Après, pour MTV, je suis persuadé que la dame y passera quand un « généreux » producteur lui aura fait sortir un disque dégoulinant de bons sentiments.
Quant à moi je préfère nettement ça :
http://www.dailymotion.com/video/x6xtaa_feeling-good-nina-simone_music
Et pour donner des idées au choeur-mixte de Champlan qui pourrait la reprendre lors des messes du très sympathique abbé Marcellin, cette magnifique et ultraconnue reprise de Léonard Cohen, Hallelujah :
http://www.dailymotion.com/video/x33yf1_jeff-buckleyhallelujahflv
avril 29th, 2009 à 14 h 00 min
Quant à moi, Messieurs, je donne tous mes suffrages à Florence Foster Jenkins, qui sait allier un physique très commun à une voix hideuse. Mais la dame a beaucoup de sous, et peut se payer des orchestres pour pousser la chansonnette.
Allez jusqu’au bout, c’est merveilleux.
Le violoniste à l’arrière-plan est mort de rire.
http://www.youtube.com/watch?v=xdLyL2_mFaA
avril 29th, 2009 à 14 h 27 min
Merci Orgel. Je ne la connaissais pas. Celle-là est magnifique aussi :
http://www.youtube.com/watch?v=qtf2Q4yyuJ0
avril 29th, 2009 à 15 h 30 min
Cher Vincent,
Quelle rapidité dans l’art du commentaire. Par contre si c’est pour dire la même chose que sur votre blog, c’était pas la peine. J’avais déjà fait un lien.
Et pour ce qui est de briser les canons de la télé, permettez moi de rire doucement. Je n’y crois pas un seul instant mais je me réjoui de voir apparaître cette télé nouvelle que vous nous annoncez.
Vous me préviendrez, s’il vous plait. J’ai jeté mon poste.
avril 29th, 2009 à 22 h 53 min
@Orgel
Ah oui merci. Je ne savais pas qu’écouter du Mozart puisse être aussi douloureux; je n’ai pas tenu jusqu’à la fin…
avril 29th, 2009 à 22 h 57 min
Toute cette histoire n’est qu’une bête métaphore de la grippe porcine. Grouïk grouïk!
avril 30th, 2009 à 10 h 16 min
Par contre pour le titre pompé sur cette magnifique chanson de Léonard Cohen, tu n’étais pas le premier Alcazard :
http://cartoons.courrierinternational.com/dessin/2009/04/20/susan-t-emmene-ecouter-les-sirenes
avril 30th, 2009 à 10 h 35 min
Je te rappelle que cette référence (si évidente que tout le monde l’utilise), j’ai dû te la signaler, gros malin…
Tu fais preuve de tellement de mauvaise fois qu’on se demande bien pourquoi tu as arrêté tes études de droit.
avril 30th, 2009 à 11 h 24 min
Le copieur, le copieur ! Au plagiat ! ;o)
Ça doit être parce que je parle très mal anglais et que je n’ai jamais rien compris aux chansons de Cohen ;o)
Mauvaise foi, mauvaise foi…
avril 30th, 2009 à 21 h 31 min
Moi, ce qui m’étonne le plus, c’est l’âge de Monsieur Pellegrini. A le lire(pas trop souvent, Dieu merci!), je lui donnais beaucoup plus. Encore une merveille de la nature: un vieux cerveau dans une tête encore assez jeune.