L’angélisme de droite
Ces derniers temps, il semblerait que la question de la criminalité et de la population carcérale plus élevée chez les étrangers soit une donnée qui ne peut être contredite sans être accusé d’angélisme. Et pourtant, cette différence entre Suisses et étrangers est tout à fait explicable; sans pour autant l’attribuer à une violence inscrite dans le patrimoine génétique ou culturel de certaines nationalités, comme tentent de nous le faire croire les racistes de tout bord politique.
En effet, les partisans de l’initiative et ceux du contre-projet ne prennent pas en compte l’âge et le sexe des condamnés. Il se trouve que la population carcérale en Suisse est constituée de plus de 2/3 d’hommes entre 20 et 44 ans. Or, la présence d’hommes étrangers de 20 à 44 ans dans le total de la population étrangère en Suisse est plus dense que celle des hommes suisses du même âge dans le total de la population suisse. Du coup, il est logique que le taux de criminalité soit plus haut chez les étrangers, tout comme leur présence plus importante dans les prisons. Par contre, en termes relatifs, leur criminalité est pareille à celle des Suisses. Pour une démonstration plus complète, voir l’extrait en premier commentaire d’un article de Dario Lopreno («Renvoyer» quelqu’un qui est d’ici?»).
Ceci écrit, je poursuit à la Bodenmann dans L’Hebdo: en posant quelques questions.
– Comment est-il possible qu’un barde saviésan puisse enseigner au collège, vu ses méconnaissances en statistique ou, à choix, sa malhonnêteté flagrante dans l’usage des chiffres et des faits?
– Comment est-il possible que des libéraux-radicaux prônent une justice différente selon le statut des habitants de ce pays (nationaux, européens, extra-européens) alors qu’historiquement, une de leur principale conquête, est d’avoir imposé l’égalité de tous devant la loi?
– Comment un jeune avocat-stagiaire peut-il soutenir la double peine et se foutre ainsi d’un des principes fondamentaux du droit pénal qui dit que «personne ne peut être puni deux fois pour le même acte»?
– Comment le PDC peut-il prétendre être le parti de la famille alors qu’il soutient un contre-projet qui pourra séparer une mère de son mari ou de son enfant, même si ces derniers sont nés, et ont fait toute leur scolarité et leur vie en Suisse?
– En bref, pourquoi les partis bourgeois autres que l’UDC soutiennent-ils le contre-projet? Et comment est-il possible que 24 socialistes sur 42 au Conseil national aient pu approuver un succédané de l’initiative, le contre-projet, ouvertement raciste et xénophobe?
Malheureusement, j’ai la réponse à la dernière question. Le but est d’éviter, à quelques mois des élections nationales, de se confronter face à l’UDC sur le thème des étrangers et de la sécurité. Histoire de ne pas perdre des voix face à elle, voire de lui en grappiller quelques-unes. Finalement, sans même parler du côté gerbant de cette tactique électorale, j’ai plutôt le sentiment que c’est là que se situe l’angélisme.
Croquignol
octobre 29th, 2010 à 13 h 19 min
Sans prétendre qu’elles sont exactes, nous nous appuyons ci-après sur les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) concernant les condamnations et la population carcérale, deux critères généralement admis par les adeptes de l’«ordre» pour mesurer la «criminalité». Nous nous baserons dans ce qui suit sur les données pour 2008.
D’une manière générale, dans les pays développés, les classes d’âge de loin les plus impliquées dans ce que l’on nomme la «criminalité» sont constituées par les hommes adultes âgés de 20 à 44 ans. Ce que ne contredit pas l’OFS qui indique que, en 2008, sur une population totale de 7’700’000 habitants (dont 49% d’hommes), les classes d’âge de 20 à 44 ans représentent le 35% de la population du pays 22 et le 71% des condamnés 23. Les statistiques indiquent de même que, en 2008, les étrangers, constituent le 23% de la population totale 24, le 51% des condamnations totales et le 70% de la population carcérale 25.
Pour mieux comprendre ces données, il faut prendre en compte, pour 2008, les éléments suivants :
1° nous passons à 45% (et non 51%) des condamnations infligées aux étrangers, si l’on déduit les condamnations dues à la Loi sur les étrangers (10’474) qui incombent quasi exclusivement (à raison de 95%) aux étrangers et qui ne font que sanctionner leur présence en Suisse 26 ;
2° les classes d’âge de 20 à 44 ans représentent 32% de la population de nationalité suisse et 48% de celle de nationalité étrangère; autrement dit elles sont 1,5 fois plus nombreuses parmi les étrangers;
3° les hommes de ces classes d’âge représentent 16% de la population de nationalité suisse et 25% de celle de nationalité étrangère; autrement dit ils sont 1,6 fois plus nombreux parmi les étrangers.
En conclusion: les chiffres ci-dessus impliquent que la probabilité d’être un homme étranger de 20 à 44 ans est 2,4 fois plus élevée (1,5×1,6=2,4) que celle d’être un homme suisse de 20 à 44 ans. (…)
Mettons tout cela en parallèle avec les affirmations du rapport du groupe AGAK 27, qui affirme que: (…) Mesurée à la population adulte moyenne des différentes catégories, la proportion des personnes condamnées de nationalité suisse est de 0,8%, alors que celle des personnes de nationalité étrangère s’élève à 1,3%(…)».
Du moment que les étrangers (…) hommes de 20 à 44 ans sont 2,4 fois (…) plus nombreux que les hommes suisses de ces mêmes classes d’âge ne le sont parmi le total des Suisses, il n’est pas surprenant que les étrangers (…) présentent une «criminalité» double de celle des Suisses, autrement dit une «criminalité» équivalente en termes relatifs. (source: alencontre.org)
22 OFS, Statistique de la population résidente permanente selon l’âge et le sexe, 2008, tableau T 1.2.1.2.3
23 OFS, Condamnations d’adultes pour crime ou délit, selon le sexe, la nationalité et l’âge, pour l’ensemble de la Suisse, 2008, tableau T 19.3.3.2.2
24 OFS, Statistique de la Population résidente selon la nationalité et le sexe et proportion d’étrangers, de 1900 à 2008, 2008, tableau Su-f-1.1.1.2
25 OFS, Statistique de la privation de liberté (état de la banque de données au 12/11/2009), 2008, tableau T 19.03.05.01.01
26 OFS, Condamnations d’adultes pour un délit de la loi sur les étrangers (LEtr) 1), selon le sexe, la nationalité 2) et l’âge, pour l’ensemble de la Suisse, 2008, tableau T 19.3.3.2.7
27 Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) et Département fédéral de justice et police, Rapport du groupe de travail criminalité des étrangers (AGAK), Berne, 2001
octobre 29th, 2010 à 13 h 43 min
La base même de la campagne est basée sur un mensonge, en l’occurrence celui qui prétend qu’un violeur étranger pourrait devenir Suisse si on ne le renvoyait pas chez lui.
J’ai récemment lu dans le Nouvelliste du 20 octobre 2010 une entrevue de Jacques de Lavallaz, le chef du Service de la population et des migrations, il confirme qu’un criminel étranger ne peut légalement pas prétendre à la naturalisation. Cela va plus loin, car d’après lui une simple arrestation pour ivresse au volant peut bloquer la procédure.
Après tout, la droite helvétique n’est plus à un mensonge près, la politique moderne veut que l’on aboie le plus fort pour ameuter le plus de moutons possibles. C’est bien dommage, car certains votent du coup avec l’émotionnel, sans se rendre compte qu’ils sont manipulés avec une facilité débordante.
octobre 30th, 2010 à 15 h 56 min
Voter avec l’émotionnel, la droite ?
N’est-ce pas plutôt une spécialité de gauche de jouer les émotions à tout va ?
octobre 30th, 2010 à 16 h 28 min
La sur-représentation des personnes d’origines étrangères dans la statistique pénale suisse tient essentiellement à trois facteurs clairement identifiés par les études criminologiques :
1. Sociologiquement, et au vu des trois critères classiquement utilisés par les sciences sociales, à savoir l’âge, le genre et le statut socio-économique, la population « étrangère » diffère significativement de la population « suisse ». Les « étrangers » sont plus jeunes, ce sont plus souvent des hommes et ils occupent des positions « inférieures » dans l’échelle socio-économique (en moyenne). Ces écarts statistiques sont d’autant plus forts que l’on va de différentes catégories d' »étrangers » à d’autres (pour faire simple ils sont plus faibles chez la population d’origine étrangère naturalisée, que chez les étrangers au bénéfice d’un permis d’établissement (et ce d’autant plus que la durée du séjour en Suisse est longue), et encore plus importants que chez les étrangers au bénéfice d’une autorisation de séjour provisoire (Permis B, L, N). Or le fait d’être un homme, jeune, de « bas » statut socio-économique forme un faisceau de facteurs fortement corrélé avec la probabilité de commettre un délit. En Suisse, mais ailleurs aussi, on ne dispose pas vraiment de données statistiques permettant de mesurer ce phénomène, pour des raisons plus ou moins valables éthiquement, mais il serait très peu probable que, en disposant, on arrive à d’autres conclusions que celles qu’ont obtenues les criminologues canadiens, à savoir que la probabilité de commettre un acte délictueux, à conditions sociologiques égales, est très peu sensible au statut national.
2. Le fonctionnement même de l’appareil policier et judiciaire fonctionne comme un filtre statistique : il est notoire que vous avez plus de « chance » d’être contrôlé par la police si vous êtes un jeune homme au « look » exotique que si vous êtes une dame « caucasienne » de soixante ans; de même il est hautement vraisemblable que le juge plutôt enregistrera une convention entre le lésé et le plaignant ou prononcera plutôt des peines pécuniaires à l’encontre d’un notable « suisse » alors même qu’il infligera la détention à un « étranger », à délit égal. Ce sont des faits connus et reconnus des praticiens du droit comme de ses observateurs, mais qui, par nature, ne sauraient faire l’objet de mesure. Resterait encore à établir la nature et l’appréciation des délits (ce pourrait être un facteur 2.b) dont sont coupables « les étrangers » et les « Suisses » : les nouvelles normes en matière de statistique pénale pourront aider, peut-être, à y voir plus clair, mais pour le moment j’ai l’impression (c’est une impression que je ne peux étayer compte tenu du néant statistique en la matière) que la vente de cinquante grammes de cannabis (infraction à loi sur les stupéfiants), ou un excès de vitesse modéré en conduisant une automobile (infraction à la loi sur la circulation routière) sont parfois considérés, au vu des peines prononcées, comme des « erreurs de jeunesse » lorsqu’il s’agit de jeunes suisses, mais comme des crimes lorsqu’il s’agit de jeunes « étrangers ». Il en irait de même lorsqu’ils s’agit des atteintes à l’intégrité des personnes ou des délits contre la propriété, dont on sait mal comment ils se répartissent, tant du point de vue des auteurs que des victimes, entre « Suisses » et « étrangers ». Pour le dire autrement, la propension à être suspecté, incriminé et condamné plus sévèrement est plus forte pour la population « étrangère » que pour la population « suisse ».
3. Il est des délits dont, seuls ou essentiellement, les étrangers peuvent se rendre coupables (infractions à la loi sur le séjour ou à la loi sur l’asile, par exemple) pour lesquels ils peuvent encourir des peines d’emprisonnement. Il en est, conséquemment, des peines que des « Suisses » ne peuvent subir, en particulier « l’expulsion du territoire », le plus souvent une double peine inique, de fait, du point de vue de l’esprit de la loi. Ceci aussi contribue à rendre les statistiques plus floues. S’il on excepte ces délits et peines du calcul statistique, on s’aperçoit que le différentiel de criminalité s’amenuise d’autant, bien que dans une faible mesure, mais là aussi des données précises manquent.
Il est donc normal (ce serait le contraire qui serait surprenant) que, du point de vue de la statistique actuelle la plus élémentaire, la population « étrangère » soit sur-représentée par rapport à la population « suisse » en ce qui concerne la délinquance.
Et, même s’il devait être vrai, et ce n’est de très loin pas établi, je le répète, au vu des nuances méthodologiques que je viens d’évoquer, que la criminalité de la population étrangère résidant en Suisse devait être à ce point plus grave que celle de la population suisse, au point de compromettre sérieusement la sécurité de la population résidente, il y aurait lieu, plutôt que de prôner des mesures aussi simplistes et inefficaces que le « renvoi des criminels étrangers », de se demander pourquoi des Blocher, des Freysinger, mais aussi des Bertarelli, des Gianadda, des Hayek, et j’en passe, la liste serait beaucoup trop longue. ne se sont pas retrouvés aux côtés des Ivan S., Faruk B. et autres Ismir K. sur les bancs de la justice pour avoir agressé nos vielles mamans, violé nos jeunes sœurs ou profité de nos institutions sociales (encore que, pour certains des noms cités, au titre d’une Justice bien plus idéale que le Code Pénal suisse, je ne sois pas sûr que certaine accusation soit aussi invalide que ça…)
Ce que je veux dire, c’est que l’initiative de l’UDC, mais aussi le pseudo contre-projet du Parlement, ne prennent aucunement en compte la réalité de la délinquance, et en particulier de la délinquance des populations d’origine « étrangère », qu’ils relèvent tous deux d’un pur fantasme absolument infondé, et que, ne serait-ce que pour cette raison (mais il y en a bien sûr d’autres), ils doivent être rejetés par toute personne disposant d’un minimum d’intelligence. Je serais surpris qu’on me contredise ici, mais ce message, visiblement, ne passe pas ailleurs et ça m’a fait du bien de le partager avec vous; je vous laisse, si vous en avez le désir, libres de le relayer plus loin.
Régis Volluz
P.S. Vous aurez remarqué que j’ai mis les termes « étranger » et « Suisse » entre guillemets : ce n’est pas par hasard, bien sûr; après tout, stigmatiser l’Étranger n’est-il pas devenu, ces dernières trente années, la seule manière de se penser suisse ?
octobre 30th, 2010 à 18 h 38 min
Merci pour cette remarquable synthèse M. Volluz.
@John Rambovin . Le populisme existe à gauche, comme à droite….
octobre 31st, 2010 à 8 h 52 min
Merci Gael (Bourgois?) d’avoir relevé les explications pertinentes de Jacques de Lavallaz publiées par le Nouvelliste…
novembre 1st, 2010 à 8 h 52 min
@John Rambovin
J’ai malheureusement l’impression que l’on se dirige vers une politique qui tend plus à l’amassage des voix qu’à la résolution de réels problèmes, à gauche comme à droite, cette dernière utilisant des concepts plus choquants et donc plus visibles.
@Jean-Yves Gabbud
Point de Bourgois, désolé. Mon prénom est peu courant, c’est vrai qu’en connaitre deux est un petit exploit. 🙂
Sinon, j’aime beaucoup l’analyse de penseur, puisse-t-elle être lue par un grand nombre de personnes.
novembre 2nd, 2010 à 10 h 08 min
L’un des courts métrages réalisés par les opposants à l’initiative :
http://www.youtube.com/watch?v=XB8ar9wOG9Q&feature=player_embedded
juin 6th, 2011 à 0 h 43 min
http://www.youtube.com/watch?v=hIKZNnPNwNM&feature=related