Club House
Un aimable lecteur du Nouvelliste a eu le bonheur de voir sa lettre de véhémentes protestations publiée dans le courrier des lecteurs. Il s’insurgeait avec passion contre la réaffectation des gouilles de Granges – haut lieu de rencontre de la jeunesse dépravée et des anarcho-écolos en Birkenstocks – en mare à canards pour le golf dix-huit trous bien rangé et coupé propre sur la nuque et les oreilles. Il nous dresse un tableau touchant de cet espace de liberté, d’égalité et de fraternité totale et absolue qui a disparu sous les coups sans scrupules des pelles mécaniques, soldats aveugles du grand capital. Narrant avec poésie la folle vie que l’on devine sienne aux heures heureuses que vous octroient la jeunesse et le ventre plat, en ces lieux que la lutte des classes avait jusque là épargnés, il vilipende avec courage l’arrivée en ce paradis à la portée de tous d’un terrain de jeu élitiste accessible aux seuls souliers cloutés.
Alors bon, même si on peut regretter la disparition de quelques pâquerettes que l’on trouvait de bon ton de tresser dans la forêt de poils pubiens de notre amie d’alors, on ne va pas chialer comme des veaux sur l’éradication de ces saloperies de moustiques, de l’odeur insoutenable de la crème solaire, de la vue intolérable du vulgus en maillot de bain, des dimanches interminables en famille autour du barbecue et du sable dans la raie des fesses !
Et d’ailleurs, le Nouvelliste, grand journal indépendant et à la déontologie irréprochable, ne s’en est pas laissé compter ! La rédaction, qui dans un premier temps à publié dans un souci évident de démocratie le dit courrier, a aussitôt réagi : elle a chargé Christian Dayer de répondre, dans le même numéro, deux pages plus loin, avec courtoisie et délicatesse au jeune effronté. Il se fend dans son billet d’humeur de dernière page d’une apologie du noble sport avec la petite baballe à mettre dans les petits troutrous. Ah, quel brillant exercice de style, quelle admirable description des tourments intérieurs qui agitent le tréfonds de l’être humain qui se cache en tout joueur de golf. Car derrière le pantalon ridicule à carreaux et les chaussettes montantes se dissimulent des hommes, des vrais, aux nerfs d’acier et à la soif de vaincre inassouvissable. Ces hommes, ces héros, ces dieux sont soumis à mille maux et aux affres du stress qu’ils surmontent pourtant avec courage et stoïcisme. Ils sont l’exemple vivant que l’homme civilisé, s’il est bien dressé, peut surmonter toutes les pressions. Monsieur Dayer se réfère, pour étayer ses propos, au brillant ouvrage de Bernard Bagnoud dont je ne résiste pas au plaisir de vous redonner le titre tant celui-ci fait envie : « Le golf, sa découverte émotionnelle par la dynamique mentale ». Je cours l’acheter !
Alors toi, obscur Ayentot dont je ne trahirais pas le nom, sache que je ne t’en veux point, tu ne pouvais point savoir que le golf soignait aussi bien les bobos à la tête qu’une thérapie ou qu’un bon gros pétard. Tu ignorais que ce qui naîtra de tes souvenirs d’adolescence boutonneuse enfouis sous le gazon ras, ce sont les winners de demain. De là jailliront ceux qui feront la fierté de notre belle république : des jeunes qui en veulent et qui voteront bravement, dès demain, comme leurs pères et les pères de leurs pères avant eux.
Sors de ma chambre, s’il te plaît, et va en paix.
Alcazard, néo-lecteur de B. Bagnoud
PS : Pardon par avance à toutes les pâquerettes, moustiques, crèmes solaires, vulgus et grains de sables que mes propos auraient pu choquer.