De l’histoire considérée comme une carapace de tortue
L’accumulation des strates dans une coupe de terrain permet au géologue d’écrire l’histoire de la Terre; on peut dire qu’il a constamment sous les yeux la preuve intangible du temps qui passe. Cet empilement des couches est peut-être à l’origine d’une certaine vision dangereuse de la chronologie historique : le passé est enfoui sous le présent et ce dernier le sera sous le futur et il en sera ainsi perpétuellement jusqu’à la fin du monde.
C’est à mon sens la seule raison à donner à l’étrange papier de FX Putallaz (voir l’article d’Alcazard à ce sujet) dans lequel la glorification du héros occidental et du guerrier intègre vous a des relents médiévaux. Le passé est à ce point enfoui dans la mémoire du professeur qu’il a de la peine à ressurgir, étouffé sous le poids confortable d’un présent de paix et de démocratie. Les historiens, pourtant, existent qui sont des taupes; ils retournent inlassablement à la terre et en ressortent des souvenirs, par petits paquets. Mais FX fout des grands coups de pieds dedans, déverse de la limaille dans les galeries et replante du gazon. Il ne veut pas de ces cochonneries.
FX rêve de combats chevaleresques et de soldats dignes. Il oublie un peu vite que l’histoire, à l’inverse des strates géologiques, ne se dépose pas en couches successives mais en couches juxtaposées; un peu comme des écailles de tortue, les faits se chevauchent doucement, mais jamais l’un d’entre eux n’est enterré tout à fait. C’est pour cela qu’il suffit de si peu de choses pour que tout recommence; un traumatisme quelconque et l’écaille qu’on croyait si lointaine se remet en mouvement et bouleverse ses voisines, un peu à l’image de ces dominos que les enfants s’amusent à dresser les uns près des autres pour ne jouir qu’une seconde de leur effondrement.
Celui qui croit qu’il convient de creuser bien profond dans la terre pour comprendre son passé n’en conçoit aucune crainte; la terre, bon vieux Moloch bienveillant, le préserve des vieux démons. Alors qu’il suffit de regarder et d’étendre les bras. Je ne parle évidemment pas des témoins matériels; tout archéologue vous dira qu’il n’a pas d’autre choix que de creuser pour les découvrir. Mais si l’homme mortel est bien enterré au sens premier du terme, avec tous les objets de son quotidien, les idées qu’il a générées flottent toujours autour de nous et c’est un péché intellectuel que de les enfouir avec lui.
Orgel, sous mescaline