La Boîte Aux Lettres du comte d’Orgelet
Les promoteurs immobiliers valaisans ne sont pas seulement des destructeurs de patrimoine. Ils sont aussi des imbéciles.
La chose épouvantable de l’avenue Ritz qui va servir d’immeuble (de « bloc », pour reprendre la très juste dénomination populaire), en face de la poste du nord (elle aussi fleuron de l’architecture moderne) et à côté de la Migros (d’une beauté subtile) se pare du joli nom de « Saturnales ». Je m’imagine avec beaucoup de bonheur la séance de brain-storming qui a dû précéder le choix de ce nom judicieux. Ah ! La joie sur les visages de tous ces braves gens quand, enfin, le nom a été trouvé ! C’est beau, c’est cosmique, c’est grandiose !
Voilà déjà quelques temps que la rue affiche cette appellation ridicule. Mais rien, je n’ai lu nulle part de papier moqueur. Si j’en ai loupé un, merci de me le faire savoir, que j’offre un verre à son auteur.
Que sont-ce donc que les Saturnales ? Une grosse bamboule du temps des Romains, codifiée par Auguste, amplifiée par Caligula, magnifiée par Néron, une bamboule de tous les diables où l’on fêtait une certaine idée de l’égalité entre les hommes, avec la nostalgie de l’âge d’or qui présidait aux destinées humaines lorsque Saturne traînait ses savates en Italie. On s’offrait des cadeaux, on buvait beaucoup de liquide, on fumait des trucs bizarres, on touchait le calice des nubiles, les esclaves commandaient aux maîtres (sans doute pas trop fort et pas trop longtemps) Bref, la fête.
On retrouve en tas des restes franchement édulcorés de cette belle époque dans nos fêtes de Noël, dans la célébration des Rois et dans la pseudo-orgie du Carnaval, dont les prétendues licences feraient s’étrangler de rire le premier Romain venu des temps glorieux.
Les Saturnales désignent aujourd’hui des comportements réprouvés par la morale, des excès de toute nature qui ne sont modérés par aucun frein. Et là, tout à coup, l’angoisse m’étreint : ces promoteurs ne sont peut-être pas que des imbéciles, ils sont peut-être avant tout d’épouvantables cyniques, ils ont choisi ce terme en toute conscience. Détruire, construire des cochonneries et s’en mettre plein les fouilles, sans que personne ne dise jamais rien. Voilà un bel excès typiquement local et jamais modéré.
Ils ont raison, finalement. Il s’agit bien de Saturnales valaisannes, où le passé et la culture bâtie de ce canton deviennent les esclaves de quelques personnages grossiers.
Sauf que chez les Romains, ça ne durait que quelques jours du mois de décembre. Ici, c’est toute l’année.
Et maintenant, sortez de mon chantier, que je démolisse en paix.
Orgel