« Histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner
Voici la rentrée et ses fiches de lecture. Pour compléter un peu le tableau dressé par Les Bienveillantes de Littel, j’ai lu récemment le bouquin cité en objet.
L’histoire du manuscrit est rocambolesque : commandé en 1938 par un éditeur allemand à l’auteur alors exilé en Angleterre, il ne sera retrouvé qu’après la mort de Haffner, en 1999, et publié en 2003.
Il est tentant de voir dans ce coup éditorial une manoeuvre d’apaisement de la culpabilité allemande. Alors que Haffner (de son vrai nom Pretzel; j’avais un chat qui s’appelait comme ça, jadis, bref) a publié beaucoup de livres sur l’histoire de l’Allemagne (Hitler, la Prusse, les saucisses, et j’en passe), on se demande bien pourquoi il n’a pas ressorti plus tôt de ses tiroirs ce manuscrit brûlant. Par modestie, alléguera-t-on : il parle de lui, enfant, ado, jeune homme, mais avec la certitude, déjà, de faire une oeuvre de dimension historique: alors quid?
Rédigé prétendument en 1938, il y est fait (entre autres) mention du démembrement à craindre de la nation allemande, ce qui propulse Haffner au rang très convoité des visionnaires de génie. Des allusions imperceptibles aux cauchemars des années suivantes ombrent d’un doute l’ensemble du bouquin : la description glacée d’effroi du premier SS rencontré dans la rue (vers 34, donc) semble trop empreinte a posteriori de l’horreur qu’évoqueront bien plus tard ces deux initiales. C’est un condensé de l’aryen idiot et martial, aux yeux morts, que c’en est presque trop beau pour être vrai.
Il n’empêche que c’est un bouquin intéressant, même si on ne m’enlèvera pas de l’esprit qu’il a été longuement enrichi après les faits. La résistance allemande de la première heure est un fait historique, et l’évanouissement dans la nature politique de tous les opposants au régime de 33 reste un mystère de la physique humaine. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, disait l’autre : ce livre est à lire en tout cas pour essayer de comprendre le phénomène curieux du précipité citoyen dans le bouillon nazi – sans heurts et sans révolution –
Si le but de ce livre est de lever la culpabilité du peuple allemand, il se trompe. S’il a vraiment été écrit en 38, si on part du postulat que Haffner n’était pas le seul homme intelligent de son pays, on arrive à la conclusion que la majorité des Allemands étaient conscients du cauchemar qu’ils vivaient et qu’ils allaient imposer au monde : alors on se demande comment ils ont bien pu laisser faire cela, au lieu de s’échapper individuellement d’un pays qui avait cruellement besoin d’eux.
Orgel
août 22nd, 2009 à 23 h 23 min
Rassurez-moi: c’est bien un ours déguisé en pom pom girl sur la photo?