L’adieu aux clous de cercueil

Depuis le 1er juillet, il est interdit d’en griller une dans son bistrot favori. On ne peut même plus fumer un cigare au club Rilke, vous rendez-vous compte.

Bientôt, les souvenirs des troquets enfumés nous apparaîtront en noir et blanc, aussi désuets que ces salles de cinéma ou Papa fumait gauloise sur gauloise.

Un siècle, cette manie dangereuse aura duré un peu plus d’un siècle. Depuis les cigarettes prescrites aux asthmatiques par les toubibs de la fin du dix-neuvième jusqu’aux dernières tumeurs du soufflet, en passant par les paquets de troupe distribués aux troufions des deux guerres et aux appelés, on peut dire que le XXe aura été tabagique. Il est à souhaiter que le XXIe ne le soit plus – mais il y a fort à parier que la cigarette n’existe plus dans 30 ans.

Pour nous, c’est pas de bol. Combien d’entre nous partiront encore du poumon ? Tant pis. Pauvres humains sacrifiés, gouttes d’eau stupides dans l’océan des siècles. On aurait pu naître à Athènes au Ve siècle, ou à Florence au XIVe. Mais non. Nous sommes nés dans le siècle massacreur du souffle et de l’énergie vitale.

C’est un peu long et décousu comme introduction, je vous l’accorde. Je voulais surtout conseiller la lecture du livre d’Odile Lesourne, « le grand fumeur et sa passion », publié en 1984 et réédité aux PUF. L’auteur s’interroge sur le nombre très restreint des psychanalyses initiées par le fait de fumer, alors que chaque fumeur devrait logiquement courir chez un psy. De ce constat premier découle une étude passionnante sur le fumeur, et cette théorie hardie selon laquelle le fumeur, grand angoissé par la mort, croit la maîtriser en se l’inoculant peu à peu.

Un beau passage sur Freud, mort de sa passion, qui préférait la souffrance infligée par son cancer à la moindre tentative d’abstinence. Le frère de Sigmund était mort jeune par strangulation; il n’y a qu’un pas à franchir pour corréler ce traumatisme fondateur à la pratique du tabagisme de Freud, dans une quête éperdue de la suffocation, avec cette volonté inconsciente de se punir d’être le survivant, et dans le paradoxe sublime de la peur de mourir.

Le tabagisme révèle des êtres complexes, déchirés entre l’auto-mutilation et l’amour de la vie. Voilà ce que les non-fumeurs ne comprendront jamais.

A lire : Odile Lesourne, Le grand fumeur et sa passion, PUF

Orgel, kof kof

Un commentaire pour “L’adieu aux clous de cercueil”

  1. sardinaluileNo Gravatar dit :

    C’est une façon bien lyrique de voir la réalité… m’enfin.
    En ce qui concerne Freud, ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés.
    (merci, pas de chapeau, j’ai arrêté)