Vive le roué

Il y a deux cent seize ans hier matin 21 janvier, on raccourcissait menu Louis Auguste de France sur la place de la Révolution, à Paris.

C’est dommage. Ce n’est pas très poli, d’abord. Ensuite, la guillotine est un très vilain instrument. Quand on pense qu’il y a encore 30 ans on actionnait toujours le couperet en France, ça fiche un peu la nausée.

Je fais partie de ceux qui commémorent chaque année, dans le secret des mes alcôves, l’exécution de Louis XVI. On peut être surpris, mais au-delà du sentiment d’horreur que suscite chez moi toute exécution capitale, je trouve celle-ci particulièrement grave, car elle découle d’un principe, ce qui est toujours dangereux. Principe selon lequel il faut mettre à mort un innocent pour accéder au mieux-être, ce qui relève tout simplement du domaine sacrificiel – et j’ai toujours eu de la peine avec les sacrifices de toutes sortes.

Ensuite, je crois qu’il est inutile de revenir sur la nature du bon roué Louis, qui était un brave type. On lui doit tout de même l’abolition de l’esclavage (remis au goût du jour par Napoléon the first), la mise sur pied du système unifié de mesures, l’interdiction de toute forme de torture judiciaire. Il a essayé durant tout son règne de limiter le pouvoir des nobles, de se débarrasser de l’étiquette oppressante instaurée par le quatorzième du nom. L’image du gaga en train de bricoler une serrure dans son atelier de luxe n’est qu’une grossière calembredaine. Marie-Antoinette qui dilapide le pognon pour s’acheter des colifichets, aussi. Car, là où les aristos ne l’ont pas joué finaud, c’est qu’ils ont tout fait pour discréditer le couple royal : le roi est un abruti impuissant qui bave devant des clés, et la reine une sotte qui croque les millions et les palefreniers. Ils pensaient peut-être, ces ânes, contraindre le roi à l’abdication et placer sur le trône un gogo plus rétrograde, qui leur aurait redonné leur place à la cour. Eh ben c’est raté, ils ont fait le lit de la Révolution et perdu du même coup tous les privilèges, qu’une tradition aberrante attachait à la naissance, on ne va pas revenir là-dessus.

Il y a plus grave. Napoléon n’aurait jamais eu la chance obscène qui fut la sienne sans la Révolution. Et Napoléon, avec ses conneries, est directement à l’origine de l’émergence des nationalismes européens ; à force de taper sur ses voisins et de vouloir qu’ils parlent tous le français de Touraine, on excite un peu les sentiments de défense et de protectionnisme national, forcément. Napoléon III, le doux crétin, a terminé le boulot en déclarant une guerre stupide à la Prusse, et voilà 14-18, et voilà Hitler, et voilà Mai 68 (non là je rigole, hein).

C’est aller un peu vite en besogne, je l’accorde, mais j’aime bien griller les étapes et j’adore la politique fiction, j’y peux rien.

La Révolution aurait dû maintenir, au-delà de ses craintes, une monarchie constitutionnelle – ce qui était du reste dans ses idées premières. Il me plaît souvent à penser que cette solution aurait évité à l’Europe pas mal de désagréments. Un roi pour le folklore, avec de jolis carrosses. Comme en Angleterre. Quand on sait que le singe qui s’agite à l’Elysée a plus de pouvoirs que Louis XIV lui-même, on se dit qu’on aurait rien perdu au change, bien au contraire.

Voilà pourquoi, tous les 21 janvier, j’ai une pensée émue pour l’autre emperruqué.

Orgel, avocat du diab’

2 commentaires pour “Vive le roué”

  1. FernandNo Gravatar dit :

    Etant aussi amateur de politique fiction, je conseille la lecture de Philip Roth, « Le complot contre l’Amérique ».
    Roth imagine une victoire de l’aviateur antisémite Lindberg contre Roosevelt à l’élection présidentielle américaine de 1940…

  2. HannahNo Gravatar dit :

    De toute façon, les vrais révolutionnaires ont été exécutés en même temps que le « Roué Louis » par des bourgeois aristo-bureaucrates qui nous ont offert une révolution qui ne permet toujours pas, aujourd’hui, de dépasser un système qui cloisonne les gens selon leur sexe, leur compte en banque ou leur appartenance sociale…