La Boîte Aux Lettres du comte d’Orgel
J’ai appris avec un grand plaisir que nous étions tous des produits.
Certains sont des produits de luxe, des bibelots de chez Tifus en quelque sorte, des ceux qui s’achètent des vestes tyroliennes à 500 francs l’unité (pour le modèle en daim). D’autres sont des produits de moyenne gamme, d’autres sont franchement pourris, il y en a même à qui il manque des dents de devant. Il y a des journalistes, des pharmaciens, des avionneurs du dimanche; je crois qu’il y a même quelques socialistes.
J’ai donc appris avec un grand plaisir que nous étions tous des produits de la marque Valais et que le Cervin avait le design le plus trash du monde (je cite de mémoire Biver, le très vilain patron de Hublot, dont on nous rebat les oreilles et qu’on cite en exemple de réussite) (le concept de réussite est décidément très subjectif)
Si le Valais doit se vendre, qu’on nous vende avec, alors. Moi je préfère les brunes coupées à la garçonne, vous m’en mettrez 54 kilos. Moi je prends le petit là-bas, avec des cheveux ; il vient d’Orsières ? Il mord ? Celui-là est trop laid, je le donnerai à mes murènes.
Il faudrait que Papival fabrique un gros carton dans lequel on pourrait mettre deux bouteilles de pinard avec, au milieu, un Valaisan. Ça te vous aurait une putain de gueule sur les rayonnages de la Grenette, entre un flacon de génépi et du pain de seigle.
Tout doit se vendre, dit-on. Il faut apprendre à mieux vendre le week-end de la châtaigne de Fully. Il faut vendre Vinéa, il faut vendre Valère et Tourbillon, il faut vendre Sion en lumières (mais la loi interdit de vendre à perte, alors ce dernier cas pose problème, un peu, quand même) Je songeais à toutes ces choses de haute tenue, l’autre jour, à pied, quand personne ne m’a pris en stop alors que je cheminais gaiement de la zone de Chandoline au centre ville (un homme à pied n’est pas vraiment un homme, il fait peur, des fois que je serais le sadique de Chandoline). Et je me suis dit que le meilleur moyen de vendre ce canton aurait été de ne pas démolir la plaine, en projetant ces constructions atroces, jetées comme les cubes du jeu de construction d’un géant ivre. On détruit la ville et on pleure après que les touristes y z’aiment pas Vissigen. Moi, les deux maisons des années 30 de la rue du Chanoine-Berchtold, abandonnées, qui servent de pissotières et de parc à bagnoles, dont on a condamné les portes et les fenêtres pour que personne ne puisse jouir encore de leur présence, moi ça me fout les boules. Quand on ergote encore sur la sauvegarde du chalet de Riedmatten au chemin des Collines, moi ça me rend fou.
Mais je ne connais pas les véritables enjeux, moi. Je ne connais rien à l’économie de marché, moi. Je ne suis pas un vendeur de montres de luxe, moi, monsieur.
Je suis juste quelqu’un qui regrette les arbres de l’avenue de la Gare, et l’ancien temple protestant de la rue de Loèche.
Un vrai ringard, en somme.
Et maintenant, sortez de ma chambre.