Lowenthal écrivait : le passé est un pays étranger. Je ne sais plus qui a rajouté (Marek Halter, peut-être?) : les gens s’y comportent de manière étrange, ou quelque chose dans ce goût-là.
Comme un phénomène de résilience à grande échelle, il est un fait avéré que les gens oublient les leçons de l’Histoire au bout de deux ou trois générations, parfois un peu moins, comme si l’individu était incapable d’intégrer les réflexes de défense activés par ses aïeux lors des conflits. Voilà peut-être ce qui nous distingue de l’animal : cette incapacité congénitale à adapter nos comportements à la situation. Tabula rasa à chaque génération ou presque, avec ce je-ne-sais-quoi d’incompréhension amusée lorsqu’on se retourne : une vision en noir et blanc, désuète, où les gens, effectivement, ne font pas les choses comme nous. Cela tient à peu de choses, une coupe de cheveux, le pli d’un pantalon trop marqué peut-être, une automobile élégante. Plus qu’un autre pays, le passé est un autre monde, un monde dans lequel nous n’avons pas vécu et qui donc n’existe pas, comme n’existe pas la mort pour celui qui respire aujourd’hui. L’une des acceptions les plus abouties de cette infirmité intellectuelle se retrouve dans la croyance en l’au-delà : d’accord pour la survie, pour la vie éternelle, pour l’après. Mais pas un mot de l’avant, voilà qui est curieux. André Gide, dans ses Deux interviews imaginaires publié chez Charlot en 1947, a cette réflexion qui m’enchante :
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